Nos souvenirs de Beyrey
Partager
Grandir ! C’est si difficile. Trop de problèmes, les choses se compliquent en allant, les responsabilités qui s’enchainent, les problèmes de cœur, une société qui d’un coup en demande trop. On ne sait plus où donner de la tête. Nul ne nous avait expliqué que grandir, c’est comme signé un contrat pour s’ennuyer à mourir. Chercher indéfinitivement un but à sa vie, une raison à son existence et tracer au plus vite sa route : Et c’est là qu’on se dit que tout était mieux avant. Cétait si facile, si simple et on veut retourner en arrière ne serait ce que pour quelques secondes dans notre enfance. On cherche tous une bouée de sauvetage. Notre enfance ressemblait à celle de millions d’autres enfants de par le monde qui néanmoins, a ses particularités. Ce sont à ses souvenirs que je m’en vais faire appel. Comme un flash-back, retourner en arrière le temps d’un texte et immortaliser à jamais ces moments.
Ces souvenirs ne sont pas que les miens mais aussi de mes amis qui ont aussi accepté de partager certains moments forts avec moi. Je voudrais dès alors que le lecteur sache que je ne suis ici que le rédacteur de mille pensées, de mille souvenirs d’enfants que la vie a réuni dans une cour d’école et qui ont cheminé ensemble. Que le lecteur s’installe à son aise car le récit sera long mais je lui promets que le lire en vaut la peine car surement qu’au travers un d’entre-nous, il se retrouvera car l’histoire d’une personne, c’est toujours celle de mille personnes.
L’histoire commence dans la plus belle ville du monde, la cité des 333 saints : Tombouctou, la mystérieuse, ville du nord du Mali. Cette ville en soi a quelque chose de magnifique, de beau mais là n’est pas le sujet. Alors dans cette ville, il y’a une école privée du nom de Beyrey signifiant en français « le savoir » et c’est dans cette école qu’en 2004 ou en 2005, je ne sais plus trop mais c’est entre ces deux dates qu’enfants, nous nous retrouvions en classe de première année avec Mohamed Idal comme enseignant. Je ne me rappelle pas de ceux qui étaient là au départ mais tout a commencé là. Au fil des années entre nous est né une certaine alchimie, un certain lien, on était devenu une sorte de famille dans une classe. On grandissait ensemble, faisant nos premiers pas dans le monde ensemble comme apprendre à lire, à écrire, à former des groupes, à se retrouver entre amis hors de l’école et participer à des anniversaires. Quelque chose de profond nous liait. On le sentait, on le savait. On faisait partie de quelque chose de magnifique mais qu’on ne parvenait point à expliquer. On avait hâte que les vacances finissent pour qu’on se retrouve encore et encore. En venant à l’école, on était si heureux qu’on ne voulait pas que l’année scolaire finisse. En classe, on faisait comme si de rien n’était mais dehors à la maison, on ne parlait que de notre classe. Tu sais telle personne est si intelligente, une autre est si belle. On racontait les habitudes de nos camarades et pourtant ensemble on faisait comme si de rien n’était. Combien de fois et à combien de personnes, j’ai parlé des jumelles Touma et Kadi, de Tim l’enfant, de Mohamed ben Chekour, de l’intelligence de Prince, de ma première rencontre avec lemine autour d’un seau, d’Abou, mon autre moi, d’Aicha, de Naneissa, de Hawa Maiga, de Mariam Togo, de Daddy, de Hinda, de Martin, de Touta, des jumelles Awa et Adam, d’Astan Soubounou, d’Ali Ag Thimi, d’Alassane Maiga, d’Assoura, de Sekou Doumbia, de Rougeo, de Joseph ; de Nock, de Baba, d’Azed, de Sadio, de Macalou et tellement d’autres personnes que je ne pourrai finir de citer leurs noms. Ce n’est point un oubli, c’est que certains de ceux que j’ai cités sont montés avec nous dans le train au départ, d’autres ont fait escale et des nouvelles personnes sont encore montées.
Il s’est passé tellement de choses que je ne sais vraiment pas par où commencer. Fatim et Talibina allaient très tôt pour les séances d’éducation physique et se faisaient toujours poursuivre par les chiens alors que Monsieur Abdou venait en rétard. Je me rappelle un matin, très tôt, on était ensemble pour l’EPS, les chiens nous ont poursuivi à tel point que ce fut la débandade. Chacun s’est cherché, d’autres ont pris des murs, d’autres sont retournés à la maison et on était étonné de voir que lemine nous avait tous devancé ce jour-là. Certains avaient le don pour faire sortir les professeurs de nos classes. Ils parfumaient tellement bien la classe que même monsieur Hamèye était obligé de sortir. Il nous a fatigué ce dernier. Pousse pousse s’arrête au mur, voilà, sa phrase fétiche. La classe était divisée en deux : bambara et sonrhaï. Les filles étaient toujours en froid. La concurrence était rude entre elles à cause des études mais aussi des garçons mais ce n’était pas que du coté des filles mais entre garçons aussi, la concurrence était farouche, et dans les études et pour les filles. Malgré cette grande concurrence, on était véritablement amis, que ce soit les filles ou les garçons. On disait que notre classe était la plus impolie, qu’ils n’ont jamais vu des élèves comme nous. On dérangeait toute l’école en même temps, on était excellent comme élèves, les meilleurs étaient chez nous. Comme si on était fait pour les études. C’est un paradoxe mais que faire, ça ne s’expliquait pas. On s’amusait tellement mais on étudiait tellement. chacun voulait s’imposer et la bataille était des plus difficiles néanmoins il fallait maintenir le cap. Mes amis sont des génies, c’est aujourd’hui que je m’en rends compte parce qu’après, j’ai fait tellement d’écoles mais ce n’était plus jamais pareil. Prince, Daddy et Abou étaient nos rappeurs, j’étais le gars sérieux d’après Awa. lamine aimait racontait les blagues. On se battait comme des fous pour être premiers de la classe. On n’avait pas à nous demander à la maison d’aller apprendre nos leçons. On le faisait naturellement tellement que le niveau de la classe était au plus grand niveau. Sekou était le guerrier de la classe et Baba, le gladiateur. Touma et Fatim étaient toujours en Bazin le vendredi malgré l’insistance de l’école sur le port de la ténue. On se donnait des prenons : Abking, Lahada, Dadking, Prinking. On jouait tout le temps à action ou vérité. Une fois Macalou a oublié son sac chez Sadio et est venu en classe. Ce jour, on a tous souffert, il pensait que c’était les élèves qui avaient pris son sac et le directeur a promis de tous nous punir si on ne ramenait pas le sac. Drôle d’oiseau ce Macalou, j’adore le voir chanter Winx Club, amener son gouter et son bidon d’eau comme un tout petit enfant. On n’a pas été puni, c’est l’essentiel et puis notre directeur Alassane Sabane Maiga est un homme exceptionnel, si gentil, si humain et d’une patience à toute épreuve. J’adore ce monsieur. Quel qu’en soit ta maladie, il a un médicament, il te donne du paracétamol et te renvoie en classe. Quand ça chauffe, genre une bagare, là, il fait sortir son bâton et gare aux dissidents, l’heure est à la punition. Il y’avait la jumelle Awa qui nous faisait tous pleurer en musique. Elle chantait toujours le titre : Papa de Salif Keita.
Elle dégageait une certaine émotion qu’on restait sans voix, tout le monde l’écoutait. On ne comprenait pas tous les paroles car on ne parlait pas bambara mais dans une chanson, il y’a plus que la langue parlée. Ill y’a les gestes, les silences, l’aisance et Awa nous faisait pleurer. L’émotion et les larmes se mélangent. J’ai toujours eu cette envie de la demander ce que lui rappelle cette chanson mais jamais je ne l’ai fait. Aujourd’hui encore quand j’écoute ce titre de Salif, ce sont ces moments qui me reviennent tel un flash-back, je revois Awa dans cette classe et j’ai envie de pleurer. C’est si douloureux de se souvenir de certaines choses. Si Awa lit ces lignes, qu’elle trouve en ces mots une profonde admiration de ma part et une reconnaissance éternelle. Il lui a surement fallu du courage pour affronter tous ces regards et chanter ce titre. C’était peut-etre sa façon de se rebeller, de dire non à l’ordre des choses, remettre en question le destin des hommes et dire à Dieu : Pourquoi ? Elle ne sait pas mais quelque part sa chanson a véritablement marqué l’enfant que j’étais et qui savait que son père n’était plus là. Attends, il ne faut pas qu’on pleure, avançons, non une pause s’impose.
J’écrivais les noms des bavards, je ne m’en rappelle pas trop mais on m’a énormément tabassé pour cela, je ne l’oublierai jamais : Assoura me menaçait chaque jour. Alassane Sagaidou et moi, se battions tout le temps et Touta bavardait plus que n’importe qui mais n’avait jamais son nom sur ma liste. D’ailleurs il n’était pas le seul, ils sont nombreux. Je ne pouvais écrire leurs noms de peur de ne pas retourner à la maison avec des bandages. Je n’étais pas bagarreur mais on m’en a donné des coups, mais je continuais écrire les noms des bavards. Touma et Fatim n’avaient peur de personnes, toujours sur le qui-vive, prêt à se battre, pire que Calamity Jane, elles terrorisaient les autres.
Et il y’avait Martin Huon, si timide, si gentil, toujours disponible pour aider les autres. On était assis sur la même table et les filles le fatiguaient tellement. Elles ne cessaient de tirer ses cheveux au point qu’un jour, il en a parlé à sa mère. Si je pense à lui aujourd’hui, je suis heureux car je me dis les gens changent, perdent cette timidité et parviennent à se frayer un chemin dans le monde car à l’époque on le fatiguait tellement, à chaque fois, il se tournait pour dire : qui m’a frappé ? Personne ne répondait mais ce n’était pas que lui, le banc de derrière était une calamité, il me frappait moi aussi à chaque fois à la tête et ça m’énervait à tel point que je me battais le plus souvent avec Alassane Sagaidou. Et ce dernier était un drôle de personnage. Chétif mais grand bagarreur, il avait une grande influence sur Prince, me menaçait chaque jour pour que je traite sa rédaction n’étant doué que pour les maths. On allait beaucoup de fois chez eux. Je ne sais pas ce qu’il est devenu avec le temps mais il est de ces personnes dont on ne saura facilement sonder les cœurs. Touma et Kadi parlaient d’envoyer leurs scorpions, je n’y ai jamais cru même quand on n’était enfants.
Madame Laleissa et Kadidia du jardin fatiguaient les filles pour qu’elles payent leurs marchandises. Fatim était une espèce rare comme élève, elle emmerdait tout le monde, elle imitait le professeur de français et est devenu pire que lui. Le professeur de français Bill nous faisait sortir tout le temps Prince et moi. Je ne sais pas pourquoi mais il nous a rendu la vie compliquée pourtant il était bien comme professeur. Le prof de biologie aimait dire : Go out. Un jour Touma pleurait à cause de ses boutons, une goutte est tombée sur ses boutons et Naneissa a demandé : si les boutons pleuraient aussi. Sacré Naneissa ! Une véritable actrice, elle ne pensait qu’à ses dessins animés : Charlotte la Fraise et Dora et pourtant elle était très brillante. Joseph pense que notre classe est une classe de malades, il n’a pas tort, nous étions des enfants heureux à l’époque avec des problèmes d’enfants. On se pensait investi d’une mission : venir à l’école et refaire le monde. Fatoumata Samaké appelée encore Fato se battait chaque fois avec les jumelles.
Là, il est question de nos amours, et oui, les enfants que nous étions connaissaient l’amour, disons, on en avait notre conception. Ne dit-on pas que seuls les enfants connaissent l’amour véritable ? Je ne sais pas si c’est vrai mais on aimait ou du moins on croyait aimer. Daddy m’en voudrait si je ne parlais pas de mon amour immense pour Aicha jadis mais justice me serait rendue car je ne suis pas le seul à être tombé sous le charme de cette fille. Elle nous a surement envouté. La majorité des garçons de la classe ne juraient que par elle et n’avait de yeux que pour elle. La concurrence avec Fatim était rude, peut être que c’était à cause de Prince mais le problème est qu’elle savait qu’elle était cette fille. Nos plus grandes souffrances viennent de là, de cette époque là. Ce n’était pas que triangles amoureux encore pire, c’était des losanges et même des rectangles amoureux. Aicha aimait Prince, Prince aimait Aicha, j’aimais Aicha, Sadio, Abou, Rougeo et tant d’autres aimaient la fille. Nous avions usé de tellement d’acrobaties, de gymnastiques et de diplomaties pour qu’Aicha et Prince ne soient pas ensemble. Même Alassane qui jouait l’entremetteur pour les deux, aimait la fille.
Vous vous imaginez une telle classe, des enfants en classe de huitième année qui usaient de tant d’ingéniosité pour mettre barrière à un couple qui s’aimait. Que le ciel nous pardonne mais aujourd’hui, j’en ris plus que quiconque car c’était des trucs d’enfants, on parlait dans le dos de l’autre. On le calomniait pour s’attribuer les faveurs de notre bien aimée. Ma concurrence avec Prince, était donc à deux niveaux : être premier et être dans les bonnes grâces d’Aicha.
Si elle était belle, elle n’étaiet pas la seule. Fatim, Naneissa, MourJal, Awa, Adam, Kane Diallo, Kadi, Touma, Assitan Soumbounou étaient aussi très belles et avaient aussi leurs amourettes. Pour d’autres ça marchait, pour d’autres non. Le plus beau couple de la classe était : Martin et Touma. Ils étaient très mignons ces deux. Je le sais parce que j’étais assis entre eux sur le même banc. Sadio a vraiment souffert, il n’avait de yeux que pour Aicha alors que Naneissa ne rêvait que de lui. Le monde est bizarre et l’amour l’est encore plus, véritable paradoxe et chemin incompris même par les dieux. Il s’est quand même fait racketter tout son argent par les filles qui lui disaient : amènes telle somme, c’est pour Aicha, c’était le sésame ouvres toi pour avoir l’argent de Sadio. Tellement qu’elles l’ont pris tout son argent, il n’amenait plus de récréation à un moment. Il a véritablement souffert le monsieur mais il nous aurait au moins appris une leçon depuis l’enfance : l’argent ne paye pas l’amour. Il n’est pas le seul à plaindre, je le suis tout autant ou encore plus que lui mais n’ayant pas son argent, je me suis rabattu sur le travail et ça m’a aussi appris : qu’être premier d’une classe donc par ricochet l’excellence ne paye non plus pas l’amour. Daddy aimait qui, je ne sais pas sincèrement, il aimait jouer le caïd et ne laissait rien apparaître. Lemine non plus, je n’ai jamais su pour lui. S’il m’était arrivé de me tourner juste un peu la tête, j’aurai su quelle chance j’avais d’être dans les bonnes grâces de Kane et d’Adiaratou. Chato et Fatim aimaient aussi Prince. Kadi, je ne sais pas non plus pour elle mais Rougeo était fou d’Aicha, ça n’a pas marché, il s’est rabattu sur Hinda qui lui a donné une baffle. Qu’il se rassure, la baffle d’Hinda, je l’ai aussi reçu. Il y’avait Yaya. Elle emmerdait tout le monde mais qui elle aimait, je ne sais pas.
Et Mariam Togo, j’ai des doutes mais rien comme certitude, elle et Kane, elles doivent en avoir des secrets, elles étaient toujours ensemble entrain de magouiller des choses. Il y’a tellement de choses à dire, tellement d’histoires et anecdotes à raconter que même un livre ne suffira pas mais toujours est-il que ces amours ont joué beaucoup dans notre enfance et expliquait énormément de tensions et de situations conflictuelles entre nous dans la classe. Nos problèmes étaient profonds. Je sais aussi que je me battais pour être premier et cela me mettait dans les bonnes grâces de la sorcière d’Aicha, il le fallait. Même qu’une fois à la place de l’indépendance alors qu’on avait démonté Prince en toutes pièces et on attendait, j’ai été l’heureux élu d’Aicha. Une grande victoire mais si éphémère. Elle ne s’en rappelle peut-être pas mais moi si, surtout que ce jour Fatim, Chato, Abou et Lemine se sont laissé allé aux confidences.
Des vilains enfants, voilà ce que nous étions. Il y’a beaucoup de personnes à qui je ne saurai rendre justice à travers ces lignes car énormément de moments ont été oublié par ma personne alors qu’elles ne se sentent point oubliés. Je me rappelle de Hawa Maiga, de Nouhoum Maiga, de Sekou Doumbia, d’Adiaratou, d’Alioune Faye, d’Aliou Sidi Touré, d’Almadane.
Cela fait des années que l’on ne s’est plus vus. Chacun est parti de son coté, à la poursuite de ses rêves et de sa destinée. Ils sont de par les quatre coins du monde affrontant les péripéties souvent et profitant aussi les délices de la vie. Quelques fois, on a des bribes de nouvelles sur les réseaux sociaux. On essaye tant bien que mal de garder le cap mais au plus profond de nous, dans nos cœurs, on se souviendra à jamais de ces moments que nous avions passé ensemble à Beyrey. Toutes ces histoires, ces matins, ces soirs, ces nuits, ces plats, ces joies et ses larmes que durant des années, nous avions partagés ensemble.
Je ne sais pas d’où vous me lisez aujourd’hui, ce que vous faites ni ce que vous êtes devenus, les aventures qui vous sont arrivées après, les peurs que vous avez affrontées et surtout quels ont été vos petites et grandes victoires mais j’aimerai que vous sachiez une chose, tous autant que vous êtes, vous êtes des personnes exceptionnelles. Vous faites partie à jamais de celles qui laisseront une marque indélébile sur ce monde car je vous ai vu à l’œuvre et tous autant que vous êtes. Un avenir radieux vous attend alors n’oubliez jamais de sourire quel qu’en soit les difficultés ou tracas qui vous submergent. Je vous porte au plus profond de mon cœur à chaque seconde, chaque minute et je sais que demain vous appartient. Les amis, je vous aime tellement et j’en ai fait des belles choses dans la vie mais ma plus belle réalisation et fierté est d’avoir cheminé à vos côtés. Je vous aime tellement. Votre ami Yehia BoréYehia Boré