Dangassa : le champ de coton, la seconde salle de classe de Bakary

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Beaucoup d’enfants sont privés de leur enfance parce qu’ils sont contraints d’exercer un travail mettant en péril leur santé et leur éducation.

Selon ľ Organisation internationale du travail (OIT), le travail des enfants regroupe l’ensemble des activités qui privent les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité et nuisent à leur scolarité, santé, développement physique et mental.

Le Code du Travail du Mali, en son article D.189-14, stipule qu’il est interdit d’employer les enfants de moins de 18 ans à des travaux excédant leurs forces, présentant des causes de danger ou qui, par leur nature et par les conditions dans lesquelles ils sont effectués, sont susceptibles de blesser leur moralité…

Le Mali est le deuxième plus grand producteur de coton en Afrique et dans cette industrie, le travail des enfants y est répandu. Ce qui entretient le cycle de la pauvreté pour leurs familles et communautés. Qui plus est, bon nombre d’enfants qui travaillent dans les champs de coton au Mali ne sont pas scolarisés.

Lors de la campagne agricole de l’année 2021, nous avions eu la chance de rencontrer Bakary qui vit à Dangassa, un village situé à une centaine de kilomètres de Bamako. Bakary travaille dans le champ de coton de son père qui a des difficultés à joindre les deux bouts sans l’argent du coton.

L’histoire de Bakary ressemble à celle de beaucoup d’autres de son âge dans ce village. D’un air triste, Bakary regrette sa situation. « Je m’appelle Bakary, je suis âgé de 12 ans. J’ai deux jeunes frères qui m’accompagnent le plus souvent au champ. Je suis toujours en classe de 3ème année du cycle de l’enseignement fondamental, alors que les autres enfants du même âge que moi sont en 6ème ou 7ème année  ».

Bakary a beaucoup de difficultés à se concentrer sur les études car chaque fois que l’hivernage s’approche, ses études sont interrompues par les travaux champêtres. Son père l’oblige à quitter la salle de classe pour le champ qui est du coup, devenu sa deuxième salle de classe.

La Daba à l’épaule, Bakary nous raconte ce qu’il fait comme travail : « je participe à des tâches très variées dans le champ de coton, de la préparation des terres, à la cueillette à la main des boules de coton en passant par la manipulation des pesticides » confie-t-il.

Ajoute-t-il que : « chaque jour, je vais au champ avec mon père à 7h et nous ne revenons à la maison qu’à partir de 17h30. Très généralement, nous commençons les travaux champêtres à 7h et demi 8h. À l’approche de l’hivernage, c’est la préparation du champ pour la culture du coton. Dès la tombée des premières pluies, on commence à semer les graines de coton. Cela peut prendre deux semaines car le champ est très vaste. » Lorsque les graines commencent à pousser, Bakary veille au champ contre les animaux et les oiseaux. Après quelques semaines, viennent les phases d’engraissement et de pulvérisation du champ avec du pesticide dans lesquelles Bakary se trouve en première ligne, accompagné de son père ».

La cueillette

Quelques mois après la semence, vient l’heure de la cueillette. Nous retrouvons tout naturellement Bakary dans leur champ. Il est penché en avant, un sac en toile de jute sur le dos. Il se redresse un instant pour regarder le soleil levant. Une grosse sueur au front, il cueille des fibres de coton pour remplir son sac. Une fois le sac rempli, il va vers le gros manguier du champ pour déverser sa récolte et le processus continue jusqu’au petit soir.

Cause du travail de Bakary

Selon le père de Bakary qui a véritablement pris de l’âge, sans Bakary, il serait impossible pour lui seul de pouvoir mener les travaux champêtres à terme. Nous confie-t-il qu’il n’a pas les moyens de payer des gens pour cela : « Nous gagnons moins dans la culture du coton actuellement. S’il faut payer les engrais et les pesticides et recruter en plus des journaliers, nos fonds ne nous le permettraient pas. Après la vente du coton, avec l’argent qu’on gagne, on achète les provisions pour le reste de l’année avant de commencer une nouvelle saison pluvieuse. Cet argent me permet aussi de payer des manuels scolaires pour Bakary » raconte-t-il la mine peinée.

A la question de savoir s’il voudrait que Bakary étudie, le papa de Bakary opine : « Bien sûr que je veux qu’il (Bakary) étudie mais si les travaux champêtres commencent, il va devoir abandonner la classe pour le champ parce que c’est dans cela qu’il vit et nous n’avons pas d’autres sources de revenu. »

Que pense Bakary de tout cela ? Sa réponse fait froid dans le dos ! : « Je n’ai pas de choix, j’obéis à mon père. Je fais ce qu’il veut et ce qu’il me demande de faire ».
Conséquences : Nous posons la question à Bakary de savoir après le champ, comment se sent-il ?
La voix frêle, Bakary répondit : « Après le champ, je me sens très fatigué, souvent si les travaux sont intenses, je quitte le champ sans manger, ni me laver, je vais directement au lit. »

Cri de cœur

« Ces travaux champêtres jouent sur mes études, car je quitte la classe si les travaux champêtres commencent. Toute la classe est en avance sur moi par rapport aux cours. Je suis absent des compositions. Vraiment j’aimerais que cette situation change. Souvent je me blesse en utilisant des outils de travail inadaptés à mon âge. Je subis les conséquences de la manipulation des substances toxiques, je sais aussi que le port des charges lourdes nuit à ma croissance. »

Bakary l’affirme sans ambages : « Ce n’est pas par volonté personnelle que je troque le champ de coton contre la salle de classe. J’ai demandé une fois à mon père si je pouvais aller à l’école comme les autres enfants. Il m’a dit qu’il n’y avait rien dans notre maison et que je dois travailler. Alors c’est ce que je fais. Il faut que je travaille pour que ma famille puisse survivre. »

Entre famille et école, que choisir ? Terrible dilemme auquel est soumis Bakary pour un enfant de son âge !

Mamadou KEÏTA pour le blog Djelibaa

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